La province d’Ituri, sous état de siège depuis plus de trois ans, continue de faire face à des problèmes notables concernant le comportement des forces de l’ordre, particulièrement envers les journalistes. L’incident survenu le 23 novembre 2024, lors de l’arrivée de la Première Ministre et Cheffe du Gouvernement congolais à Bunia, illustre parfaitement cette situation. Il est impératif que cet incident serve de leçon aux autorités, aux forces de sécurité et aux journalistes eux-mêmes.
Cet incident soulève des questions non seulement sur la sécurité des journalistes, mais aussi sur les failles organisationnelles dans la gestion des protocoles lors d’événements officiels.
Le fait a eu lieu le 23 novembre 2024 lorsque cinq journalistes accrédités pour couvrir l’événement ont été agressés par les éléments des forces de sécurité responsables de la protection des autorités. Il s’agit de Charly Omba Lohahe, Saliboko Mangala Pierre, Rachid Kudra, Jospin Wa Jorkim et Papy Kilongo, étaient respectivement Directrice Générale du média en ligne Ituri.cd, Directeur Général de la Radio Merveille Bunia, journaliste à la Radio École de l’Université Moderne de Bunia, Rédacteur en chef de la Radio Maendeleo, et journaliste à la RTS.
La tragédie s’est déroulée à l’aéroport national de Murongo à Bunia, où l’arrivée de Judith Suminwa, cheffe du gouvernement congolais, avait attiré une foule de partisans, de civils et de personnalités locales. De l’autre côté, le nombre de journalistes accrédités dépassait la vingtaine
Une organisation protocolaire défaillante
Au moment de l’atterrissage de la Première Ministre, une partie des journalistes accrédités, y compris ceux agressés, se trouvait encore à l’extérieur du tarmac, en attente de pouvoir accéder à l’autorité pour une interview. C’est alors que l’énorme afflux de journalistes désireux de poser des questions a créé une bousculade incontrôlable.
D’après Papy Kilongo, l’un des journalistes qui étaient sur le lieu, faute de coordination sur le terrain du protocole, la situation a dégénéré lorsque les agents de police ont barré la route aux professionnels des medias, des menaces, des bousculades et agressions physiques ont été infligées à des journalistes munis de leurs seuls dictaphones et certains journalistes s’en sont sortie avec des blessures, d’autres ont vu leurs habits être déchirés en public par les éléments de sécurité. .
L’incident soulève des interrogations sur le rôle des forces de sécurité dans la protection des journalistes, un aspect fondamental pour garantir la liberté de la presse. Les militaires chargés de la sécurité semblent ne pas être suffisamment formés pour comprendre la nécessité de respecter et protéger les journalistes. Le manque de sensibilisation à la fonction journalistique et à son rôle essentiel dans une démocratie crée un terrain propice à des abus de pouvoir et à des violences injustifiées.
Freddy UPAR, point focal de la structure Journalistes En Danger analyse que le nœud du problème est dû a une défaillance de la coordination protocolaire de l’événement. Pour lui, il était crucial que le service de communication organise et coordonne l’accès au tarmac par les journalises dès lors que ce derniers étaient accrédités, et aucun journaliste non autorisé ne pouvait pénétrer dans cette zone.
Le lieutenant Jules Ngongo, porte-parole de l’armée, a tenté de minimiser l’incident en expliquant que les militaires agissaient uniquement sur instructions et qu’ils n’avaient pas pris en compte la présence des journalistes. « Les militaires travaillent selon les instructions reçues, sans forcément prendre en compte la présence des journalistes », a-t-il déclaré. Il a également souligné qu’une meilleure formation des journalistes était nécessaire, mais cette déclaration ne suffit pas à masquer l’absence d’actions concrètes pour prévenir de tels comportements.
Les journalistes agressés, interrogés après l’incident, ont révélé que ce n’était pas la première fois qu’ils étaient confrontés à de telles violences. Papy Kilongo, par exemple, raconte qu’une situation similaire s’était produite à l’aéroport, où les agents de la régie de voirie aérienne (RVA) l’avaient également maltraité. « Les agents de l’ordre semblent mal comprendre le rôle des journalistes. Nous sommes souvent perçus comme des personnes suspectes et dangereuses », explique-t-il.
De l’humiliation à l’isolement
La violence à l’encontre des journalistes en Ituri semble être un phénomène récurrent. Des incidents similaires ont été rapportés, impliquant des journalistes comme Jean Christian Bafwa, David Ramazani et Ezechiel Muzalia, qui ont eux aussi été victimes de mauvais traitements par des membres des forces de sécurité.
Ayant pris conscience de la gravité de l’incident, le lieutenant Jules Ngongo n’a pas tardé à présenter des excuses sommaires pour tâcher de calmer les tensions qui régnaient déjà parmi les journalistes victime de cette forme d’humiliation en leur appelant à la tolérance face à l’agissement des agents de sécurité, signale notre source.
« Sur le lieu même, le lieutenant s’était adressés aux journalistes leur suggérant que ça ne valait pas la peine de diffuser cet incident dans les medias de peur de ternir l’image des uns et des autres… » Révèle notre source. Visiblement ces propos n’ont pas suffis pour dissuader les journalistes à taire l’incident car la nouvelle a fait de la tôlée sur les réseaux sociaux mettant en scène la violence des forces de sécurité à l’endroit d’un groupe des journalistes.
Quelques jours plutard, des rumeurs ont surgie, suggérant que les journalistes agressés seraient désormais interdit de couvrir des événement au gouvernorat de la province pour avoir terni l’image des services de sécurité. La décision aurait été prise par le lieutenant Jules Ngongo porte-parole militaire du gouverneur, ce qui constituerait une atteinte directe à la liberté de la presse.
Contacté à ce sujet, le lieutenant reconnait plutôt que les professionnels de la presse ont besoin d’être accompagné en technique de couverture d’événements officiels mais il nie avoir interdit qui que ce soit d’accéder au gouvernorat : « les militaires ont leur responsabilités professionnelles. Ils travaillent selon les instructions reçue et en ce sens, les journalistes doivent avoir un sens coopératif et non faire preuve d’excès de zèles (…) » lance-t-il tout en soulignat qu’il n’a jamais donné cet ordre et pour preuve, certains parmi eux ont couvert récemment des événements au gouvernorat.
« je pense que nous avons la charge d’accompagner et d’outiller davantage nos collaborateurs de la presse sur les technique de couvertures d’événements (…) » réagit le porte-parole
Responsabilité partagée
Cet incident montre que la responsabilité dans cette affaire est partagée entre les autorités militaires, les journalistes et les organisateurs de l’événement. Les journalistes, même s’ils ont un rôle fondamental à jouer, doivent également faire preuve de professionnalisme dans des situations de forte tension. Cependant, leur responsabilité ne saurait justifier la violence à leur encontre, qui relève exclusivement de l’inaction ou du mauvais comportement des forces de sécurité. En outre, les autorités militaires doivent impérativement revoir leur approche et leur formation afin de mieux protéger les journalistes et leur permettre d’exercer leur métier en toute sécurité, même dans des contextes de crise.
Les organisateurs de l’événement, en l’occurrence ceux en charge du protocole, portent une large part de responsabilité dans la mauvaise gestion de la coordination. Une organisation déficiente, notamment dans la gestion de l’afflux de journalistes, a amplifié la confusion et a mené à la bousculade, créant ainsi un contexte où les forces de sécurité ont réagi de manière disproportionnée.
Pour Charlie Omba, journaliste et Directrice du média en ligne Ituri.cd, il est crucial que les autorités militaires renforcent leur sensibilisation à la protection des journalistes : « Il est nécessaire que les autorités militaires et les responsables de l’état de siège organisent des sessions de sensibilisation et de formation pour leurs collaborateurs sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains », a-t-elle déclaré.
Il est impératif que cet incident serve de leçon aux autorités, aux forces de sécurité et aux journalistes eux-mêmes. Si l’on souhaite garantir une presse libre et indépendante en Ituri, des mesures immédiates doivent être prises pour sensibiliser et former adéquatement les militaires, ainsi que pour améliorer l’organisation des protocoles lors des événements officiels. Les journalistes, quant à eux, doivent être protégés contre toute forme de violence et d’intimidation afin qu’ils puissent continuer leur travail en toute sécurité, sans crainte de représailles.
Cet incident montre l’importance de la formation et de la coordination dans des événements impliquant des autorités publiques et des journalistes. L’absence de préparation et de gestion adéquate des foules et des journalistes peut conduire à des situations de chaos, où la sécurité des journalistes est mise en danger.
Le rôle des forces de sécurité est de maintenir l’ordre tout en respectant les droits fondamentaux, mais dans cet incident, la réaction violente des militaires témoigne d’un manque de respect pour le rôle crucial des journalistes dans une démocratie. Le manque d’action concrète après l’incident envoie également un message inquiétant : celui de l’impunité face aux violences exercées à l’encontre des journalistes.
Joël Wells