Depuis environ un an, le phénomène « ULOR » occupe une place prépondérante dans les médias de la ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, dans la parte orientale de la République Démocratique du Congo. Cette région marquée par une insécurité croissante due à des conflits armés et à une dégradation de la sécurité urbaine, voit les informations relatives à la sécurité dominées les éditions des journaux ainsi que les émissions des radios, télévisions locales et médias en ligne. Les professionnels des médias évoluent dans un environnement de travail particulièrement difficile, où ils se retrouvent souvent dans la ligne de mire des divers acteurs impliqués dans les conflits. Les membres du mouvement ULOR, reconnus pour leur implication dans de nombreux incidents d’insécurité urbaine à Bunia, prennent pour cible des journalistes qui osent dénoncer leurs abus à l’encontre des citoyens. Depuis janvier 2024, cinq journalistes en ont payé les conséquences.
« ULOR » est un terme localement utilisé pour désigner un groupe criminel composé en grande partie de jeunes délinquants qui provoquent des troubles dans la ville de Bunia. Ces jeunes, souvent organisés en petits groupes de cinq à dix personnes, se livrent à des actes de pillage, vol, d’agression et de meurtre contre les citoyens. Ils sont également impliqués dans divers cas de viol au cours de leurs opérations. Ce groupe est constitué, en partie, de jeunes désœuvrés et de mineurs qui manquent d’encadrement. Ils commettent leurs crimes principalement avec des armes blanches (comme des machettes et des couteaux) voire des armes à feu.
Ces jeunes qui s’illustrent dans l’insécurité urbaine agissent en toute impunité dans la ville de Bunia. Grâce à cette impunité persistante, conjuguée au silence des autorités compétentes, le phénomène a progressivement pris une ampleur inquiétante, suscitant une forte préoccupation parmi les professionnels des médias.
(Lire cet article : Bunia:«ULORO», un sobriquet attribué aux jeunes ayant un comportement immoral méconnu des autorités – ITURI.CD)
Initialement signalé en janvier 2023 uniquement dans le secteur sud de la ville, autour du quartier Kindia, le phénomène s’est depuis étendu à l’ensemble de la ville.
Journalistes pris pour cibles
Les médias locaux dénoncent régulièrement ces abus ainsi que l’inaction des autorités. Ce rôle leur est reconnu dans ce sens qu’ils peuvent servir de plateforme pour donner une voix aux victimes et exposer les injustices. Cependant, ces dénonciations entraînent des répercussions graves pour les journalistes. En plus de s’en prendre aux civils et parfois aux forces de l’ordre, les membres du groupe ULOR intensifient les agressions envers les professionnels des médias à Bunia. Depuis son émergence cinq journalistes en ont payé le prix.
Pas plus tard que la nuit du 25 au 26 mai 2024, dans le quartier Bankonko, le journaliste Jorkim Pithua d’une des radios locales a été victime d’une incursion nocturne à son domicile. Cet incident s’est soldé sur l’extorsion de plusieurs biens de valeur.
«…Caméras, ordinateur, téléphones, téléviseurs ont été emportés et n’ont jamais été retrouvés », se plaint la victime.
Peu avant cet incident, les ULOR avaient également attaqué Serge Karba, journaliste à la Radiotélévision Nationale Congolaise et Directeur Général du média Le Miroir, le 25 avril de la même année. Armés de machettes, ces individus ont poignardé le journaliste à l’épaule gauche, s’emparant de plusieurs objets de valeur et d’une importante somme d’argent avant de disparaître.
« Cette agression, qui n’est pas un cas isolé, semble être une vengeance contre les journalistes qui s’opposent au phénomène ULOR à Bunia », comme l’analyse Jérémie Abdoul Lazo, journaliste à la RTNC/Bunia.
En réponse à cette agression, le journaliste a fait preuve de bravoure en saisissant la justice pour que les responsables soient retrouvés et traduits en justice.
« Avec l’aide de la cellule juridique du Collectif des Femmes Journalistes, nous avons porté plainte contre ces malfaiteurs pour association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires, atteinte à la liberté de la presse et violation de domicile », a-t-il déclaré.
(Lire aussi Ituri: Agressé, le journaliste Serge Karba porte plainte contre inconnu | Dépêche.cd (depeche.cd)
Des sources policières rapportent qu’après cette plainte, plusieurs membres de ce groupe ont été arrêtés au début de mai 2024 et auraient reconnu leur participation à l’incursion. Toutefois, le dossier a été classé sans suite au niveau du parquet militaire de garnison de Bunia.
Il convient de noter que d’autres journalistes ont également récemment subi des attaques armées de la part de membres de ce mouvement criminel. En 2023, Picard Luhavo de la Radiotélévision Mont Bleu Bunia a été attaqué et dépouillé de ses biens dans le quartier Bankoko. En février 2024, le domicile d’Héritier Ramazani de la Radiotélévision Sango-Malamu a été visité par des intrus alors qu’il était en plein travail. En mars 2024, Augustin Tshukpa de Radio Candip a été violemment agressé à son domicile par des individus affiliés aux ULOR, cumulant des blessures légères avec des membres de sa famille.
Entre impunité et violation de la liberté de presse
L’organisation Journalistes en Danger (JED) a condamné ces diverses agressions, en rapportant plus de six attaques contre les professionnels des médias. Freddy Upar, point focal de JED en Ituri, estime que cette situation doit attirer particulièrement l’attention des acteurs concernés et parties prenantes dans la solution, notamment des autorités compétentes, d’autant plus que la province est sous un régime spécial d’État de siège.
« Six attaques en moins de cinq mois représentent une menace explicite à la liberté de la presse », analyse-t-il.
L’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC) a également exprimé son inquiétude face à cette situation, déplorant que des délinquants s’en prennent aux citoyens et aux journalistes, ce, en pleine ville et sous le regard des forces de sécurité.
La corporation appelle dès lors les professionnels des médias à observer des mesures de sécurité individuelles pour protéger leur intégrité durant l’exercice de leur métier. Les services de sécurité, quant à eux, nient avoir des preuves suffisantes pour affirmer que les journalistes sont spécifiquement visés par ce groupe criminel. Le commandant de la PNC ville de Bunia souligne que certains journalistes prennent des risques en diffusant des informations sensibles, se mettant ainsi en danger dans des zones pourtant peu sûres. Le commissaire Abeli Mwangu Gérard avance que ces attaques résultent de la présence des journalistes « dans les mauvais endroits aux mauvais moments ».
Pendant ce temps, le phénomène ULOR continue d’opérer en toute impunité, défiant les forces de l’ordre, entraînant des conséquences désastreuses pour les citoyens, y compris les acteurs des médias.
Heritier Ramazani
Cette enquête est réalisée en collaboration par les journalistes membres du Réseau des Journalistes d’Investigation en République Démocratique du Congo (REJI-RDC), antenne de la Province de l’Ituri, avec l’appui technique du Collectif des Femmes Journalistes (CFJ) grâce au financement du fond Mondial pour la défense des medias (GMDF) administré par l’UNESCO
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