Dans la ville de Bunia, dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo, des journalistes sont souvent pris pour cible dans des incidents sécuritaires. Il est vrai que plusieurs facteurs favorisent cette situation. Mais on ne peut ignorer aussi l’absence des plans de sécurité dans les medias locaux. Il s’avère que près de 95% de la Vingtaine d’organes de presse fonctionnant dans cette ville n’ont pas de politique de sécurité. Visiblement, le plan de sécurité ne figure pas parmi les priorités de la plupart des promoteurs et des managers des entreprises de presse. Cette situation ne permet pas aux médias d’envisager des mécanismes de prévention encore moins des dispositions de riposte ou de gestion des risques, des menaces et des vulnérabilités inhérentes au métier de journaliste. Pendant ce temps, les agressions contre les piliers de la plume s’enregistrent. Pourtant la plupart de ces récentes agressions aurait pu être évitée en mettant en application des astuces sécuritaires et de prévention de risques.
Quand on visite les entreprises de presse de la ville de Bunia, il est rare de trouver des gardiens ou des sentinelles pour assurer la sécurité diurne et nocturne. Aussi, des journalistes et d’autres membres du personnel technique comme administratif se pointent le matin de bonne heure pour assurer le programme matinal, d’autres rentrent tard dans la nuit après des services vespéraux d’information ou de rédaction. D’autres encore se rendent sur le terrain pour la récolte des informations sans prendre le soin d’évaluer la situation sécuritaire du jour, sans prendre en compte les éventuelles menaces et les vulnérabilités possibles dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes. En plus, la sécurité à leurs domiciles n’est pas souvent sur la liste de leurs préoccupations ainsi que celles de leur hiérarchie.
Il est vrai que la sécurité du journaliste, c’est le journaliste lui-même comme le stipule un dicton. Mais toute entreprise a aussi la responsabilité de protéger ses agents pendant l’accomplissement de la mission leur confiée. Cependant, sur la liste des cas déployés, les mesures de sécurité des journalistes ne sont jamais discutées entre gestionnaires et leurs employés dans des entreprises de presse.
Pourtant les cas d’agression physique, psychologique, etc. en l’endroit des journalistes sont récurrents dans cette ville et produisent d’importantes conséquences alors que certains de ces incidents auraient pu être évitées. Plusieurs exemples en sont une preuve éloquente.
Le 27 avril 2023, le journaliste Déogratias Dhessaba de la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC), avait été enlevé par des inconnus en fin de matinée, après avoir quitté la station de radio. Le fait s’était passé à Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri. Un conducteur de moto taxi s’est empressé vers lui et proposer de le conduire volontairement à son domicile. Après quelques minutes de route, le conducteur s’est arrêté près d’une voiture entouré d’un groupe d’homme. A accroire ses propos, il a été brutalement emmené dans cette voiture noire puis drogué, avant de perdre connaissance.
Pourtant, parmi les précautions basiques de sécurité des journalistes, il y a celles d’éviter des offres des personnes inconnues. Il est aussi du devoir de l’Entreprise de garantir la protection des employés qui prestent aux heures à risque en assurant par exemple le déplacement de l’agent tant sur le terrain que pour le trajet vers son domicile. Ce qui n’a pas été le cas pour le journaliste dès lorsqu’il a n’a pas pu résister à la proposition d’un conducteur inconnu de lui déposer à son domicile.
De plus, le journaliste a été retrouvé le lendemain dans un état de santé critique puis conduit à l’hôpital. Mais nos sources affirment que son entreprise de presse n’avait entrepris grand-chose pour tant soit peu apporter un soutien au journaliste victime, ni pour renforcer les mesures sécuritaires dans le media.
Notons par ailleurs que ce journaliste avait d’ailleurs été enlevé par erreur à la place de son confrère Jean Christian Bafwa de la radio CANDIP.
(Lire aussi cet article : Affaire kidnapping du journaliste DHESSABA à Bunia : un silence odieux de la part des autorités militaires).
De l’autre côté, l’attitude a été quasiment similaire pour ce qui est du journaliste animateur Jean Christian Bafwa de la Radio CANDIP qui était visé par les assaillants. Après avoir appris qu’il était dans le viseur, le journaliste a pris le temps de lancer des sonnettes d’alarme avec le concours des quelques organisations de défense de la liberté de la presse. Mais dans sa maison d’attache, les lignes n’ont pas bougé. Aucune mesure particulière définit à sa faveur ou pour renforcer les précautions et mesure de contingence dans cette maison de presse. « Tout ce dont je me rappelle est que la radio avait diffusé l’information concernant cet enlèvement dans notre journal. C’était évidemment une situation préoccupante pour nous tous, encore plus pour le concerné, mais je ne me rappelle pas de ce qu’avait concrètement fait la radio pour le collègue », chuchote un journaliste de la Radio CANDIP, collègue de Bafwa. S’exprimant sous anonymat, ce journaliste ne sait pas dire que prévoit la politique sécuritaire de ladite entreprise de presse.
Un autre cas de figure est celui enregistré récemment toujours en ville de Bunia. Le 25 avril 2024, le journaliste Serge Karba de la RTNC est agressé par un groupe d’inciviques membres du mouvement ULOR portant des armes blanches. Les événements se déroulent autour de 00heure locale, à son domicile. D’après ses collègues, l’incident est survenu au lendemain de la diffusion d’une série des reportages dans sa radio tendant à décourager le phénomène ULOR qui fait d’énormes dégâts dans la ville.
Cependant, son media n’avait pas fait grand-chose pour lui venir en aide, notamment en ce qui concerne sa prise en charge médicale. Un abandon qui témoigne d’autres professionnels des médias qui se retrouvent dans ces genres de situation.
Sans contrat de travail, la sécurité financière problématique
En réalité, l’absence de plan ou protocole de sécurité ou encore de la politique de sécurité constitue un problème réel et a des effets sur divers aspects pour les professionnels des media du chef-lieu de la province.
Il s’avère aussi que la plupart des journalistes victimes des cas d’agression peine à bénéficier d’une prise en charge médicale, psychologique ou de la nouvelle donation des matériels de travail endommagés ou emportés par les agresseurs. En principe, c’est le contrat de travail qui préciserait les dispositions pratiques de prise en charge en cas d’incident ou accident de travail. Sur un total de 18 journalistes que nous avons interrogés, seulement 4 affirment avoir signé de contrat de travail. D’autres se débrouillent sur terrain et cela les exposent malheureusement.
Un calvaire reconnu par ce chevalier du micro : « Je me débrouille sur le terrain. Lorsqu’il y a une activité à couvrir où un atelier de formation, et qu’on me donne quelque chose, je me contente de ça et je continue à travailler… », explique-t-il sous anonymat.
Il y a tout de même quelques avancées à encourager. Certains médias de Bunia, évidemment pas nombreux, fournissent un effort pour avancer d’un pas vers la mise en place, à l’avantage de leur personnel, d’un environnement sécurisé. 5 sur 13 radios dans lesquelles nous avons effectué un sondage ont affirmé qu’ils disposent d’un plan de sécurité bien que certains ont souligné la difficulté de le mettre intégralement en application faute des moyens.
Les défis à relever
Pour comprendre le pourquoi de l’absence du plan de sécurité dans des entreprises médiatiques de Bunia, il faut aller vers les promoteurs et les responsables des medias. Mais la plupart d’entre eux font tout pour éviter d’aborder le sujet.
Des structures d’appui aux médias sont conscientes des défis à relever quand en ce qui concerne la sécurité des professionnels journalistes de cette région en proie à l’insécurité. Pour le Collectif des medias Communautaires et de Proximité de l’Ituri (CORACOPI), chaque radio doit avoir un plan de sécurité. Mais la réalité est différente. Lors de notre entretien avec monsieur Freddy Lorima, coordonnateur de CORACOPI, s’est particulièrement touché par notre observation relative à l’absence d’un plan de sécurité dans les media de Bunia. « Nous en avons toujours parlé avec les responsables des médias lors de nos différentes rencontres mais jusque-là rien comme avancée » regrette-t-il tout en rassurant que son organisation en fait l’une de ses majeures préoccupations.
En effet, la politique de sécurité prévoit des mesures à mettre en pratique lorsqu’une situation de menace est vécue par un journaliste. Au sujet de ce que peuvent faire les médias, des experts comme l’UNESCO, Reporters Sans Frontières, insistent sur l’établissement des habitudes, des routines, des protocoles et des systèmes clairs (notamment en matière d’assurance et de formation régulière) en vue d’améliorer la sécurité pour les journalistes.
La même source souligne la nécessité de préciser les responsabilités des médias et des reporters; de mettre en place des contrôles journaliers et fournir des informations venant du terrain aux reporters sur les missions dangereuses ; organiser des entretiens entre les rédacteurs en chef avant le départ de ceux-ci en mission pour que chacun comprenne ses responsabilités et sache quoi faire en cas de problème.
Par ailleurs, il importe aussi de veiller à protéger les locaux et les équipements, prévoir la Formation et des outils, notamment sur les évaluations de sécurité en environnement hostile; la prévention des enlèvements; la sécurité numérique; le soutien psychologique ; mais aussi de fournir des formations aux rédacteurs en chef et aux responsables de presse pour les sensibiliser aux questions de sécurité.
Le 11 novembre 2019, les députés provinciaux du Nord-Kivu ont adopté à Goma l’Édit provincial sur la protection des hommes et femmes défenseur∙e∙s des droits humains (F/DDH) et journalistes au Nord-Kivu. Ce document constitue un instrument de niveau provincial et local sur la protection des journalistes. Un instrument de ce genre permettrait de renforcer la protection des professionnels journalistes de l’Ituri.
Micheline NANGANDU
Cette enquête est réalisée en collaboration par les journalistes membres du Réseau des Journalistes d’Investigation en République Démocratique du Congo (REJI-RDC), antenne de la Province de l’Ituri, avec l’appui technique du Collectif des Femmes Journalistes (CFJ) grâce au financement du fond Mondial pour la défense des medias (GMDF) administré par l’UNESCO
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