Médias en détresse : comment la précarité dans les medias fragilise la protection des journalistes en Ituri

Le 12 janvier 2025, Mwisa Vyanzire, journaliste à la Radio Amkeni de Biakato dans le territoire de Mambasa, a failli perdre la vie après avoir été criblé des balles lors d’un vol à main armé. Bien qu’il ait survécu aux blessures, cet incident tragique nous a poussés à mener une enquête approfondie. Après des investigations minutieuses, il apparaît que cet acte de violence n’était pas directement lié à son travail de journaliste, mais plutôt à son implication dans des activités parallèles dans le secteur minier. Un phénomène qui expose de plus en plus les populations de l’Ituri à des risques mortels. Cet article met en lumière les conditions économiques précaires des médias dans cette province et démontre comment elles poussent les journalistes à cumuler plusieurs fonctions, un facteur majeur d’insécurité.

Mwisa Vyanzire est un visage familier de la radio locale Amkeni, une station communautaire qui opère dans la région de Biakato, en Ituri. Depuis plusieurs années, il a couvert une grande variété de sujets, allant des questions sociales à la politique locale et la présentation des journaux en langues locales.

Mwisa Vyanzire, ni aucun antécédent susceptible d’expliquer son agression. Aucun conflit professionnel lié à son travail de journaliste ne semble avoir été à l’origine de cette attaque. Selon un collègue de la Radio Amkeni : “Mwisa n’a jamais été impliqué dans des controverses ou des situations tendues avec ses sources. Son travail était centré sur des questions sociales et communautaires. Rien dans son parcours professionnel ne laissait présager une telle tragédie.” Cette absence de tension dans son activité journalistique nous amène à reconsidérer les raisons de cette violence, qui semble plus liée à ses activités parallèles qu’à son rôle de journaliste.

L’économie médiatique en déroute 

Suite à ce qui précède, nous avons pu remarquer qu’en dépit de son dévouement et de son expertise, Vyanzire n’a pas pu vivre exclusivement de sa profession de journaliste. En raison des faibles salaires dans les médias locaux et du manque de financement pour les organisations de presse, il a été contraint de diversifier ses sources de revenus. «  Dans le contexte d’ici chez nous, on peut être journaliste en faisant autre chose car c’est carrément difficile de vivre des revenus. Même moi ici je suis enseignant dans une école primaire. En réalité nous faisons ce travail par passion … » lance un journaliste d’une radio de Mambasa centre qui nous a mis la puce à l’oreille.

C’est dans ce cadre que l’un des revenus de Mwisa provient de sa participation à des négociations dans le secteur de l’or. Aux périphériques de Biakato, où il réside, est un lieu clé pour l’exploitation artisanale de l’or. C’est un secteur économique important, mais aussi particulièrement risqué. Les négociations autour de l’or, souvent non régulées et marquées par des tensions entre différentes factions, représentent une zone grise où les journalistes comme Vyanzire se retrouvent à la fois acteurs et victimes.

Le jour de l’incident, Vyanzire était impliqué dans une négociation d’or, une activité qui n’avait rien à voir avec son travail journalistique. Les premières rumeurs ont rapidement circulé, évoquant un conflit lié à une transaction qui aurait mal tourné. Selon plusieurs sources locales, des individus armés, apparemment liés à des acteurs miniers illégaux, auraient eu écho d’une récente transaction dans la carrière où il travaille. Ils ont ainsi décidé de ce soir-là de braquer son comptoir et emporter une somme importante d’argent. « Alors qu’il se trouvait sur le lieu, il a voulu lancer des alertes et c’est ainsi qu’il a été criblé de balle » raconte un autre négociât d’or que nous avons rencontré à Mambasa.

Un défi à relever

“Le travail de journaliste, ce n’est pas suffisant pour vivre ici. Nous devons chercher d’autres moyens de gagner de l’argent. C’est ainsi que nous nous retrouvons parfois dans des situations dangereuses”, déclare un collègue de Vyanzire à la Radio Amkeni, sous couvert d’anonymat.

La situation de Mwisa Vyanzire est loin d’être un cas isolé. Les médias en Ituri, comme dans d’autres provinces rurales de la RDC, souffrent d’une extrême précarité. Les stations de radio locales, les journaux et les medias en lignes ont du mal à générer des revenus suffisants pour couvrir leurs frais de fonctionnement, encore moins pour rémunérer correctement leurs journalistes. Les salaires sont dérisoires, et les conditions de travail sont souvent inhumaines.

Les journalistes sont contraints d’accepter des tâches secondaires, souvent sans rapport avec leur rôle professionnel, pour compléter leurs revenus. Nombreux sont ceux qui, comme Vyanzire, se tournent vers des activités dans le secteur informel, principalement dans l’exploitation minière. Le problème est exacerbé par l’absence d’une législation adéquate et de mécanismes de soutien pour les médias locaux.

“Nous sommes souvent confrontés à un dilemme moral. D’un côté, nous avons un devoir envers la communauté en tant que journalistes, et de l’autre, il nous faut nourrir nos familles. C’est ce qui pousse beaucoup d’entre nous à accepter des missions dangereuses”, explique Pelka Kingaka, un journaliste de la province.

L’Ituri est une zone où l’exploitation minière artisanale, bien que lucrative pour certains, est aussi un terrain propice à l’instabilité, à la violence et à la corruption. Cette réalité, combinée à la faiblesse du secteur médiatique, met les journalistes dans une position précaire, les forçant à naviguer entre leur rôle de communicants et leur besoin urgent de survie économique.

De nombreux experts en médias et en droits humains s’accordent à dire que la précarité des journalistes en Ituri constitue un facteur majeur d’insécurité. M. Pascal Kambale, un expert en droits humains basé à Kinshasa, nous confie :

“Lorsque les journalistes sont contraints de multiplier les activités pour survivre, ils se retrouvent souvent dans des environnements dangereux. L’Ituri est une région marquée par des tensions locales, et l’implication des journalistes dans des activités non médiatiques les rend encore plus vulnérables. Cette situation met en lumière le besoin urgent d’une réforme du secteur des médias dans la province…”

Les acteurs locaux des médias, eux, alertent également sur le manque de soutien et de financement pour les journalistes. Jérémie Kyaswekera, responsable du réseau des journalistes d’investigation en Ituri.

“Les journalistes en Ituri sont souvent sous-payés, voire non rémunérés pour leur travail. Cette situation les pousse à accepter des missions dans des secteurs comme l’exploitation minière, où les risques sont multiples. Nous ne pouvons pas garantir leur sécurité tant que les conditions de travail ne sont pas améliorées…”

Il est clair que le rôle de la presse est crucial dans une région comme l’Ituri, où la désinformation et les conflits armés exacerbent les tensions locales. Cependant, la faiblesse économique des médias compromet gravement leur capacité à offrir des conditions de travail dignes à leurs journalistes.

Un phénomène dangereux mais inévitable

Le phénomène du cumul des fonctions est devenu une réalité incontournable dans les médias de l’Ituri. Les journalistes, faute de moyens financiers suffisants, sont contraints de se tourner vers des secteurs parallèles pour garantir leur survie. Pourtant, ce phénomène est également un facteur d’insécurité qui expose ces professionnels aux dangers des milieux informels, souvent en proie à des conflits violents et à des activités criminelles.

Ce cumul des fonctions, bien que compréhensible d’un point de vue économique, a des conséquences dramatiques pour la sécurité des journalistes. En se retrouvant mêlés à des négociations ou à des activités illégales, les journalistes se transforment en cibles privilégiées pour les groupes armés, les bandes criminelles ou même les autorités locales corrompues.

La tentative de meurtre contre Mwisa Vyanzire met en lumière une tragédie souvent ignorée : les journalistes de l’Ituri sont non seulement confrontés à des menaces provenant de conflits armés ou d’intérêts politiques, mais aussi à la précarité économique qui les pousse à se mettre en danger dans des activités non journalistiques. Cette situation constitue une menace réelle pour la liberté de la presse et pour la sécurité de ces professionnels.

Le cas de Mwisa Vyanzire est un avertissement pour l’ensemble du secteur, et il est impératif d’agir avant que d’autres tragédies ne surviennent.

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