L’affaire du journaliste Nicolas Adiumi Kayembe illustre parfaitement les contradictions auxquelles sont confrontés les journalistes en RDC. Alors que la nouvelle loi sur la presse garanti un cadre juridique solide pour la liberté d’expression et la presse, la réalité sur le terrain montre que des abus de pouvoir persistent au niveau local. Des pratiques telles que l’arrestation arbitraire, la détention illégale et l’abus de pouvoir continuent d’être observé dans plusieurs entités de base comme en GETY, dans la province de l’Ituri dans l’Est du pays. Cet article démontre une violation flagrante de la loi et un abus de pouvoir par une autorité locale. Pour s’en rendre compte, nous avons effectué une recherche pour retracer l’incident, recueillir des témoignages et l’analyse documentaire des différents textes de loi.
Le 18 janvier 2024, le journaliste Nicolas Adiumi Kayembe, travaillant pour la Radiotélévision Maendeleo, a été arrêté à Gety, une agglomération du territoire d’Irumu, en province de l’Ituri, dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Cette arrestation a eu lieu après qu’il ait diffusé une interview traitant d’un conflit de leadership au sein de la chefferie de Walendu Bindi, une question délicate qui a visiblement irrité les autorités locales. Ce qui semblait être une simple discussion sur un différend coutumier s’est rapidement transformé en une affaire judiciaire troublante. Trois jours de détention, suivis d’une amende de 54 000 francs congolais, ont constitué un véritable test pour la liberté de la presse dans un contexte où la nouvelle loi sur la presse, adoptée en 2023, semblait offrir des garanties renforcées. Cependant, cette affaire met en lumière des violations flagrantes des droits des journalistes et des abus de pouvoir qui persistent à un niveau local.
Une arrestation sans fondement légal
Nicolas Adiumi Kayembe n’a pas été arrêté en vertu d’une infraction clairement définie et son arrestation ne respectait pas les procédures judiciaires prescrites par le code pénal congolais. Selon les informations recueillies, Adiumi a été interpellé sans aucune explication claire ou justification légale. Le journaliste, qui se rendait simplement à la rédaction de son média à Gety, n’était pas accusé de crime ou d’infraction spécifique au moment de son arrestation. D’après plusieurs témoignages, y compris celui de la victime, aucun document officiel ni aucune enquête préliminaire n’a été présenté pour justifier son arrestation.
“Il se rendait simplement à la rédaction lorsque des policiers l’ont interpellé sans explication”, a témoigné un collègue de Kayembe, qui a souhaité rester anonyme pour des raisons de sécurité. Ce dernier a ajouté : “Ils l’ont emmené sans lui dire pourquoi, et sans lui permettre de contacter ses proches ou ses supérieurs.”
De plus, l’arrestation d’Adiumi n’a pas respecté les procédures légales prévues par le Code de procédures pénales congolais, qui régit l’arrestation et la détention des citoyens et qui précise que “toute personne arrêtée doit être informée des raisons de son arrestation” ce qui n’a manifestement pas été le cas dans cette affaire. Aucun mandat d’arrêt ni un mandat d’amener n’a été présenté à Adiumi, et aucune accusation spécifique n’a été énoncée à l’avance.
Un autre témoin, un membre de la famille d’Adiumi, a rapporté : “Lorsque nous avons demandé pourquoi il avait été arrêté, on nous a répondu qu’il s’agissait d’une simple vérification, mais personne n’a expliqué les raisons concrètes.” Cette absence de justification claire pour l’arrestation met en évidence non seulement une violation des droits de l’individu, mais aussi un non-respect flagrant des lois qui encadrent l’arrestation en République Démocratique du Congo. Une situation conforme à ce que dénoncent de nombreux défenseurs des droits humains : l’usage abusif de l’arrestation comme méthode d’intimidation et de répression.
« Selon l’article 23 de la Constitution de la RDC toute personne a droit à la liberté d’opinion et à l’expression et aucune arrestation ne peut avoir lieu sans un motif légal » explique l’un des avocats proche de Adiumi.
L’une des violations les plus préoccupantes a été l’absence d’un droit de réplique pour le chef coutumier de Walendu Bindi, comme l’exige la loi n° 096 du 22juin 1996 sur les modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC. Cette loi stipule clairement que « toute personne ou autorité faisant l’objet de critiques ou d’allégations d’une publication ou d’une émission a droit à une réponse, sauf en cas de diffamation manifeste ». Le manque de procédure légale avant l’arrestation semble être une tentative de museler la presse, un phénomène qui reste malheureusement récurrent dans le pays.
Entre détention arbitraire et une sanction déguisée
Le cas de Nicolas Adiumi révèle un aspect inquiétant du climat actuel de la liberté d’expression dans les entités de base : l’utilisation de la détention comme moyen de pression. Après une arrestation arbitraire, Adiumi a été maintenu en détention pendant 72 heures, bien au-delà de la durée maximale de garde à vue sans justification légale, prévue par le code de procédure pénale congolais. Il s’agit là d’une pratique qui enfreint non seulement les droits de l’individu, mais qui constitue également une sanction illégale pour avoir simplement exercé son droit à la liberté d’expression.
« La détention prolongée d’Adiumi s’apparente à une mesure punitive, un avertissement pour les journalistes cherchant à aborder des sujets sensibles. Cela pose un problème fondamentales autorités locales semblent utiliser leur pouvoir pour intimider et étouffer la presse indépendante. » réagit un membre de la corporation locale des journalistes. Dans un pays où les conflits de pouvoir au niveau local sont fréquents, cette arrestation soulève la question du rôle des autorités dans la répression de l’opinion publique libre et des journalistes qui la relaient.
La libération d’Adiumi a été conditionnée par le paiement d’une amende de 54 000 francs congolais, une somme qui, selon le REJI-RDC, a été perçue de manière abusive. Cette amende n’est soutenue par aucune base légale. En vertu de la loi sur la presse de 2011, et plus particulièrement de l’article 28, les amendes à l’encontre des journalistes doivent être proportionnelles aux délits commis, ce qui n’est pas le cas ici. En l’absence de toute infraction criminelle, il est difficile de justifier une telle demande financière.
L’affaire d’Adiumi met également en lumière un problème récurrent en RDC : l’usage de la corruption au niveau local pour étouffer les voix dissidentes. L’amende imposée à Adiumi est plus un moyen de pression qu’une sanction légale, et cette pratique, bien que courante dans de nombreuses régions, est d’autant plus alarmante dans un contexte où les autorités congolaises devraient œuvrer pour renforcer les protections des journalistes, conformément à la Constitution et aux engagements internationaux de la RDC.
Un appel à la reddition de comptes
Face à ces abus de pouvoir, le REJI-RDC a formulé des recommandations claires « l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) responsable de l’arrestation devrait être tenu de rembourser la somme indûment perçue, et le chef coutumier de Walendu Bindi devrait présenter des excuses publiques à Nicolas Adiumi pour avoir permis que cette injustice se produise. » Ces demandes soulignent le besoin urgent de restaurer la confiance des journalistes dans l’état de droit et d’assurer qu’aucune forme d’intimidation ne soit tolérée dans le pays.
De plus, il est impératif que le gouvernement congolais prenne des mesures fermes pour garantir la protection des journalistes et l’indépendance de la presse. Bien que la loi sur la presse de 2023 soit un pas positif vers une régulation plus claire et plus protectrice, les incidents comme celui d’Adiumi révèlent que les autorités locales continuent de saboter ces avancées par des actes arbitraires.
JKK