Une vive tension a récemment surgit entre la presse de Bunia et l’appareil judiciaire de la place. Cette mésentente a été consécutive à la double arrestation de la journaliste Eugedo Ngusu, journaliste à la RCR/Bunia. Le parquet du tribunal de paix de Bunia accusait la journaliste d’« outrage au magistrat» alors que des professionnels des medias évoquent l’abus de pouvoir et la violation de la liberté de la presse. Notre enquête a permis de découvrir les dessous de cette affaire qui a soulevé un débat vif à Bunia : Ce qui a commencé comme un conflit intrafamilial s’est transformé en un dossier judiciaire mettant en cause la liberté de la presse et la capacité des journalistes à dénoncer les injustices et les abus de pouvoir.
L’affaire Eugedo NGUSU TAMBWE est un cas emblématique qui illustre les difficultés auxquelles sont confrontés les journalistes de plusieurs villes de la RDC. Ce qui a commencé comme une affaire privée s’est vite transformé en un dossier judiciaire mettant en cause la liberté de la presse et la capacité des journalistes à dénoncer les injustices dénoncent les abus de pouvoir.
Au départ, l’affaire impliquait une simple transaction familiale liée à une vente douteuse d’une moto par un membre de sa famille. La journaliste de Bunia, connue pour sa bravoure et son engagement dans le journalisme local s’est retrouvée confrontée à ce dilemme familial pour lequel elle a été arrêté la première fois en date du 15-Aout-2024 par la Police d’Intervention Criminelle avant d’être libéré moyennant payement d’une sommes d’argent, d’après l’un de ses avocat.
La journaliste, quant à elle, reconnaît avoir été arrêtée en raison de son implication dans cette affaire familiale, mais elle y voit également un tournant dans son travail de journaliste : « Au départ, je n’avais aucune idée des dérives possibles dans notre système judiciaire. Mais lors de cette arrestation, j’ai vu comment la corruption gangrenait certaines institutions, et je ne pouvais pas rester silencieuse. » Explique-t-elle. Cette expérience a renforcé sa détermination à dénoncer ces abus, jouant ainsi pleinement son rôle de journaliste, comme elle l’explique : « En tant que journaliste, notre devoir est de rendre compte de la vérité, même lorsque cette vérité dérange... »
La goutte qui a fait déborder le vase
Ce qui semble être une affaire de famille se transforme en un cas de délit de presse lorsque Madame Eugedo, lors d’un atelier organisé par PAP/RDC, une organisation locale qui défend les droits des communautés locales en septembre 2024, déclare que le magistrat en charge de son dossier lui aurait extorqué 400 dollars pour résoudre son conflit. Ces accusations, relayées par un enregistrement audio et vidéo, ont conduit à l’émission d’un mandat de comparution, cette fois non pour l’affaire de la moto, mais pour les propos tenus contre un magistrat, ce qui est considéré comme un « outrage à magistrat ».
Dans cet extrait sonore dont nous disposons d’une copie, la journaliste dénonce publiquement l’irrégularité observé dans son affaire en exprimant son indignation face à ce qu’elle a qualifié d’extorsion des justiciables.
En vertu de la Constitution de la République Démocratique du Congo (Article 23), la liberté d’expression est garantie, y compris la liberté de presse. Toutefois, l’Article 32 de la loi n° 96-002 du 22 juin 1996 sur la liberté de la presse limite cette liberté en précisant que “tout journaliste ou citoyen doit respecter l’ordre public et les droits d’autrui”. L’Article 43 du Code pénal congolais punit l’outrage au magistrat, un délit qui porte atteinte à l’honorabilité des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
Ainsi, les accusations d’extorsion formulées par Eugedo NGUSU, en tant que journaliste, sont perçues par les autorités judiciaires comme un manquement à l’honneur des magistrats. Cependant, selon plusieurs défenseurs des droits humains et avocats, ces propos sont avant tout une tentative de dénonciation d’un abus systémique qui frappe la justice congolaise. Comme analyse ce défenseur droits humains dont nous taisons le nom pour raison de sécurité, « lorsque des journalistes osent parler d’extorsion au sein de l’appareil judiciaire, ils ne font pas qu’exprimer une frustration personnelle ; ils mettent en lumière une réalité qui est vécue par beaucoup dans ce système corrompu. C’est un cri d’alerte pour rétablir l’intégrité de la justice. »
Droit ou delit ?
L’arrestation de Madame Eugedo NGUSU est perçue par plusieurs professionnels de media comme un exemple frappant de l’utilisation de la justice pour museler la presse et étouffer la dénonciation d’abus. Gentille Mugeni, directrice du collectif des femmes journalistes en RDC estime que ce n’est pas un crime de dénoncer une extorsion ou un abus.
« Si un magistrat a réellement extorqué de l’argent à cette journaliste, c’est son devoir de le signaler, non seulement en tant que citoyenne, mais aussi en tant que journaliste. Ce genre d’accusation devrait faire l’objet d’enquêtes indépendantes, non d’une répression judiciaire.”
La corporation des journalistes a réagi vigoureusement à l’arrestation de Madame Eugedo, estimant que cette dernière est victime d’une répression ciblée en raison de son rôle de journaliste et de représentante des femmes journalistes.
“Ce n’est pas seulement une affaire de moto. Ce qui se joue ici, c’est la capacité des journalistes à dénoncer les injustices, surtout lorsque ces injustices viennent de ceux qui sont censés rendre la justice. Arrêter Eugedo pour ses déclarations publiques contre un magistrat, c’est un message dangereux pour tous les journalistes du pays”, affirme Kambala.
Une Situation Délicate
Les événements de cette affaire montrent comment une simple affaire familiale a été détournée pour devenir un cas symbolique de répression de la presse. Dans un contexte où la RDC figure parmi les pays les plus dangereux pour les journalistes, l’attaque contre Eugedo NGUSU démontre une tendance inquiétante à utiliser le système judiciaire pour réprimer la liberté de la presse.
Le réseau des journalistes d’investigation en RDC a exprimé son inquiétude face à l’arrestation et a appelé les autorités judiciaires à abandonner les charges contre Madame Eugedo, soulignant qu’une telle affaire ne fait qu’aggraver l’image de la RDC en matière de droits humains et de liberté de presse. Jérémie Kyaswekera, Coordonnateur de cette structure a déclaré
« Il est inconcevable qu’un journaliste soit poursuivi en justice pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression. La RDC doit respecter ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse, et permettre aux journalistes de jouer pleinement leur rôle de veille et de dénonciation.”
Face aux accusations formulées par Eugedo NGUSU, le magistrat en charge de l’affaire a réagi vivement. Selon lui, « de telles déclarations sont non seulement infondées mais portent atteinte à la crédibilité du système judiciaire tout entier. Les propos de la journaliste visent à salir l’honneur des magistrats et à ébranler la confiance du public envers la justice ».
Il a ajouté que toute remise en question de l’intégrité des magistrats pourrait être perçue comme une attaque contre l’État de droit et la stabilité des institutions.
Cette réaction n’a toutefois pas empêché de nombreux défenseurs des droits humains de soutenir la journaliste, soulignant que ses accusations étaient motivées par un désir de transparence et de justice.