Meurtre du journaliste Fidèle Kitsa (épisode 3) : La justice, un luxe réservé aux plus offrants en Ituri

Le prix de la justice, dans certaines provinces de la République Démocratique du Congo, semble être un luxe réservé à ceux qui peuvent se le permettre. Une année après le meurtre du journaliste Fidèle Kitsa, l’assassinat reste impuni et l’auteur n’est toujours pas jugé. Bien que le nommé Adumani Apaison, soldat de premier rang et présumé auteur dudit meurtre ait été mis aux arrêts depuis le mois de février 2024, l’appareil judiciaire peine à organisé le procès. L’inaction et lenteur du système judiciaire de l’Ituri alimentent des interrogations sur cette affaire. La famille du défunt, ses collègues, les défenseurs de la liberté de la presse, ainsi que des organisations de la société civile évoquent un blocage dû au manque de volonté des autorités judiciaires militaires, laissant planer le doute sur une tentative d’étouffer cette dérive fatale de l’un de leurs éléments. Notre enquête révèle par ailleurs que l’insuffisance des moyens financiers, aussi bien du côté de l’appareil judiciaire que de la partie civile, serait parmi les causes du blocage dans l’avancement de ce dossier. De plus, les autorités judiciaires militaires semblent peu impliquées dans la gestion de ce dossier sensible. 

 

Pour mémoire, l’affaire a été portée devant les instances judiciaires depuis le mois de Février 2024. Cela fait quasiment une année que le militaire présumé auteur est détenu à la prison sans aucune forme de procès. Pourtant, le vœu ardent des parties prenantes dans cette affaire est de voir les audiences être tenues pourvue que justice soit dites.

Des démarches ont déjà été entreprises par différentes structures locales pour tâcher de faire avancer le dossier mais le résultat laisse le public sur leur soif. Déjà en février 2024, l’Union National de la Presse du Congo section provinciale de l’Ituri avait, dans une sortie médiatique, exigé des sanctions contre les auteurs de cet acte. Le mois suivant, c’est le Collectif des Femmes Journalistes (CFJ) qui, à travers sa cellule juridique a mis ses avocats à la disposition de la famille du défunt afin de fournir une assistance juridique et judiciaire auprès des instances compétentes.

En plus, le réseau des Journalistes d’Investigation (REJI-RDC) a quant à lui mené un plaidoyer auprès des hautes autorités de la justice militaires en province de l’Ituri au mois de septembre 2024 pour demander l’accélération du processus d’instruction de cette affaire. Tous ces efforts n’auront produit aucun effet dès lors que jusqu’à présent le procès n’est toujours pas organisé.

Pourtant la loi congolaise en matière de procédure pénale judiciaire accorde une priorité et une attention particulière aux affaires des meurtres et assassinats et stipule que leur instruction doit durer au minimum un an à partir de la saisine de l’autorité judiciaire, encore que le présumé auteur avait avoué avoir commis l’acte devant l’officier de police judiciaire.

(Lire aussi : https://www.reji-rdc.org/2024/05/17/affaire-meurtre-du-journaliste-fidele-kitsa-a-irumu-coup-de-projecteur-sur-ce-tragique-in)

Une année d’attente, aucune justice

Pour connaitre les vraies causes qui bloquent l’avancement de l’instruction du dossier du meurtre du journaliste fidèle Kitsa, il faut aller vers les différentes parties prenantes notamment la famille du défunt, les avocats conseils ainsi que les instructeurs du dossier et connaitre le fonctionnement des procédures judiciaires en RDC.

Selon des spécialistes du droit, la justice coute parfois puisqu’elle ne vaut en RDC. Pour un cas de meurtre, il est parfois surprenant de voir que la partie plaignante dépense même autour de 3milles dollars dans les procédures judiciaires, explique Me Exaucé Ted, avocat au barreau de Bunia.

« Il y a évidemment des frais qui sont requis à certaines étapes de la procédure judiciaire. Il s’agit des frais qui sont reconnus par la loi et clairement décrit dans la nomenclature… mais il y a aussi des frais souvent exigé même clandestinement par certains agents administratifs et qui n’ont pas de soubassement… » nuance-t-il

Ce qui fait que le coût est souvent très élevé et rend difficile l’accès à la justice pour des familles démunies et qui favorise l’impunité. En ce qui concerne le cas de figure, Me Exaucé affirme que le blocage est dû au fait que la justice demande au-delà des moyens de la famille du défunt.

Des proches de Fidèle Kitsa évoquent la difficulté de trouver les moyens financiers requis qu’ils qualifient des sommes « exorbitantes » exigées par la justice pour instruire le dossier.

«On nous a demandé au départ 500$, on a déposé qu’environ la moitié de la somme à l’auditorat. A plus, grâce à l’appui Collectif des Femmes Journalistes, il y a des avocats qui nous accompagnent gratuitement dans la procédure mais jusqu’à présent il n’y a aucune évolution…», relate d’une voix cassée un membre de famille rencontré à Bunia, chef-lieu provinciale de l’Ituri.

Le lourd fardeau financier de la justice

Nous avons cherché à savoir combien couterait l’instruction d’un dossier de meurtre en province de l’Ituri en cette période de l’Etat de siège où l’appareil judiciaire est confié aux militaires. Pour cela, nous avons d’abord consulté la nomenclature relative aux frais de la procédure judiciaire prévue par loi congolaise, ensuite, nous avons observé et expérimenté plusieurs dossiers en cours d’instruction, recueillir des témoignages des justiciables et réaliser quelques interviews avec des auxiliaires de justices et quelques sources au sein de l’auditorat et à la cour militaire de justice. Ce que nous avons découvert est tout simplement fabuleux.

En effet, en matière pénale, les étapes de la procédure dépendent du fait qu’il s’agisse d’une flagrance ou pas. Lorsqu’il ne s’agit pas d’une infraction en flagrance, la procédure comprend 4 étapes clés. L’introduction de la plainte, la comparution, l’enquête judiciaire puis l’audience de jugement. Toutes ces étapes de la procédure sont censées être gratuites car n’apparaissent nulle part dans la nomenclature relative aux frais de la procédure pénale. Mais dans la réalité, c’est bien différent

En ce qui concerne l’introduction de la plainte, l’opération est gratuite et le législateur congolais n’y fait aucunement allusion dans la nomenclature. Cependant, plusieurs témoignages recueillis confirment qu’à l’auditorat militaire de Bunia, le dépôt de la plainte est souvent monnayé moyennant une somme qui varie de 10 $ à 20 $ selon les arrangements.

La comparution devant l’OPJ ou devant l’inspecteur est également gratuite et le législateur congolais n’y fait pas allusion. Mais en Ituri les justiciables sont souvent contraints de payer une sommes entre 20$ et 35$ américains.

L’enquête judiciaire qui consiste à des descentes sur terrain est censée être à la charge de l’appareil judiciaire car l’Etat fourni des frais de fonctionnement à toute juridiction publique. Cependant, dans la plupart des cas, ce sont les justiciables qui supportent la charge pour déplacées l’inspecteur afin de mener des enquêtes sur terrain. Ici, le coût varie selon la nature du dossier. Notre source révèle que ce montant peut varier de 100$ à 500$.

Par ailleurs, pour organiser une audience foraine, il faut réunir un montant variant entre 1000 et 3000$ afin de déplacer les juges, les nourrir, les héberger sans oublier toute la logistique nécessaire pour la tenue du procès. Ces coûts sont souvent amputés aux justiciables faute de frais de fonctionnement par l’auditorat.

Notre source au sein de l’appareil judiciaire justifie cela par le fait que l’Etat congolais ne disponibilise pas des frais de fonctionnement de cette juridiction. Dans ce contexte, c’est souvent les justiciables ayant des moyens suffisants qui ont accès à la justice dans cette province.

« Ces frais permettent donc aux secrétaires de gérer les courriers, les déplacements, les copies, les coups de téléphone, etc.»

En revanche, lorsqu’il s’agit d’une infraction en flagrance, comme dans le cas du meurtre du journaliste Fidèle Kitsa, la procédure judiciaire devrait théoriquement être plus rapide et plus directe.

Dans de tels cas, la loi prévoit que l’enquête et les poursuites judiciaires doivent être accélérées, car l’auteur de l’infraction est souvent encore sur le lieu du crime ou dans une situation facilement identifiable. Par conséquent, l’instruction du dossier devrait être conduite rapidement, les témoins et les preuves étant encore frais, et la détention du suspect, qui dans ce cas est déjà connue, devrait permettre une avancée rapide vers le procès.

Toutefois, malgré la clarté de la situation et la reconnaissance de la flagrance, le processus judiciaire pour l’affaire Fidèle Kitsa reste inexpliquément bloqué, malgré la pression des parties prenantes et l’ampleur des preuves disponibles.

Cette lenteur soulève des interrogations sur l’implication réelle des autorités judiciaires et les obstacles liés aux ressources et à l’organisation des services judiciaires dans la province.

(Lire aussi: https://www.reji-rdc.org/2024/05/20/meurtre-du-journaliste-fidele-kitsa-a-irumu-2eme-episode-les-faits-se-repetent-en-raison-dune-faille-dans-ladministration-militaire-locale/ )

Un système judiciaire en crise

Le système judiciaire congolais traverse une crise profonde, caractérisée par des obstacles financiers insurmontables qui entravent l’accès à la justice. Dans l’affaire du meurtre du journaliste Fidèle Kitsa, cette réalité se fait cruellement sentir. Un spécialiste du droit a expliqué que le montant versé par les proches du défunt ne représente qu’une fraction des coûts nécessaires pour poursuivre l’affaire. « Ces 500$ demandés ne couvrent que de loin une partie des frais associés à l’organisation d’un procès », a-t-il précisé.

Les frais à payer sont nombreux et variés : « il y a les frais directs liés à la procédure, comme ceux du commissaire de justice (ou huissier) et les frais d’expertise, mais aussi les honoraires d’avocat et les frais de déplacement », a-t-il ajouté.

Ces dépenses, souvent imprévues, varient en fonction de la nature du dossier, de la juridiction compétente et de la complexité de l’affaire. Cela rend le coût global d’un procès quasi impossible à anticiper.

Le directeur général de la station de radio où travaillait Kitsa, Raymond Mapasa, exprime son indignation face à cette situation. « Il faut que l’État congolais et ses partenaires mettent les moyens financiers à la disposition de la justice pour faire avancer ce dossier. Nous demandons des enquêtes approfondies pour organiser des audiences foraines », plaide-t-il.

Dans le cas particulier du meurtre de Kitsa, des avocats ont estimé qu’une descente sur le lieu du drame, demandée par la cour militaire, coûterait à la famille plus de 3 000 dollars américains. « Une fois que les fonds nécessaires sont réunis, le procureur peut décider d’organiser des audiences foraines. Il peut choisir de diriger l’enquête lui-même ou la confier à un juge d’instruction, selon la complexité des faits », expliquent les avocats.

Ce système coûteux et opaque, marqué par des dépenses imprévisibles, expose les familles de victimes à une lourde pression financière, freinant ainsi la quête de justice et favorisant l’impunité au profit des meurtriers.

L’Aveu de l’inaction

La situation est d’autant plus préoccupante que les autorités judiciaires militaires provinciales ne semblent pas être à mesure de résoudre la question du financement des audiences.

Le Colonel Magistrat Kelly Dienga Akelele, premier président de la cour militaire de l’Ituri, a récemment confirmé que le manque de moyens financiers entrave la bonne marche des dossiers, notamment celui de Fidèle Kitsa.

En septembre 2024, dans le cadre de sa mission visant à combattre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, le Réseau des Journalistes d’Investigation (REJI-REJI-RDC) a organisé une rencontre avec les plus hautes autorités judiciaire militaire de la province de l’Ituri, à Bunia.

L’objectif principal de cette rencontre était de « plaider pour la tenue du procès en rapport avec le meurtre du journaliste Fidèle Kitsa » et d’exiger l’« accélération des autres dossiers d’agressions visant des journalistes qui traînent en justice ».

(https://www.reji-rdc.org/2024/09/27/ituri-le-reji-rdc-satisfait-de-la-reponse-de-la-cour-militaire-dans-dossiers-de-meurtre-d-journaliste-fidele-kitsa-et-lagression-du-journaliste-serge-karba/)

Au cours de cet échange, le Premier Président de la Cour militaire de l’Ituri a, à son tour, réconnu plusieurs défi concernant des affaires en instruction, notamment celle du meurtre de Fidèle Kitsa.

Le Colonel Magistrat Kelly Dienga Akelele, a expliqué que la lenteur de cette procédure était due à un « manque de moyens financiers pour organiser les audiences et enquêtes sur le lieu du drame », soulignant également que l’accumulation des dossiers et l’insuffisance des effectifs des magistrats au tribunal militaire de garnison restaient un problème majeur :

« Pour l’instant, nous avons plus de 900 dossiers en instruction. Et nous avons un problème d’effectifs de magistrats, je ne peux pas siéger seul dans la salle d’audience, il faut que l’équipe soit complète. Nous allons lancer une demande d’aide au Fonds d’Accès à la Justice pour que le dossier puisse continuer, je vous rassure de notre engagement pour la poursuite de ce dossier », avait laissé entendre Colonel Magistrat Kelly.

Les difficultés rencontrées dans le dossier du journaliste Fidèle Kitsa pour obtenir justice mettent en lumière une réalité accablante : il est clair que la justice en Ituri, comme dans de nombreuses régions de la RDC, reste un luxe réservé à ceux qui peuvent se permettre de payer.

Héritier Ramazani et Jérémie Kyaswekera


Cette enquête est réalisée par le Réseau des Journalistes d’Investigation en République Démocratique du Congo (REJI-RDC), avec l’appui technique du Collectif des Femmes Journalistes  (CFJ) grâce le financement du fond Mondial pour la défense des médias (GMDF) administré par l’UNESCO.


« Les désignations employées et la présentation du matériel dans cette publication n’impliquent l’expression d’aucune opinion de la part de l’UNESCO ou du GMDF. L’ auteur est responsable du choix et de la présentation des faits contenus et des opinions qui y sont exprimées, qui ne sont pas nécessairement celles de l’UNESCO et n’engagent pas l’Organisation»

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