À Bunia, comme dans d’autres régions de la République Démocratique du Congo, les femmes journalistes font face à des défis considérables lorsqu’elles partent en mission sur le terrain. L’un des obstacles les plus persistants est le harcèlement sexuel, un fléau qui nuit à la liberté de la presse et à la dignité des professionnelles du journalisme. Cette situation est particulièrement complexe car les femmes journalistes sont souvent confrontées à des demandes de faveurs sexuelles en échange d’informations ou à des jugements malveillants de la part de la communauté, qui les considère parfois comme des femmes au comportement déviant. Ces perceptions sexistes, couplées à un manque de soutien pour les victimes, rendent la dénonciation presque impossible.
Selon un sondage que nous avons mené auprès de femmes professionnelles des media de la region, 7 femmes journalistes sur 10 provinces de l’Ituri ont déclaré avoir déjà vécu des cas de harcèlement sexuel sur le terrain. Cette proportion alarmante illustre l’ampleur du problème auquel sont confrontées les femmes dans le journalisme, mettant en lumière non seulement les obstacles personnels qu’elles rencontrent, mais aussi la culture de violence et d’impunité qui persiste dans les milieux professionnels.
L’histoire de Claudine (prénom d’emprunt), une journaliste locale à Bunia, est un exemple frappant de cette réalité. Comme beaucoup de ses consœurs, Claudine a dû faire face à des comportements inappropriés de la part de certaines sources d’information. Lors de l’un de ses reportages, elle s’est retrouvée face à un responsable administratif, qui, après avoir accepté de lui fournir des informations, lui a fait des avances. Selon Claudine « cet homme m’a dit qu’il me donnerait des informations supplémentaires si je lui laissais mes coordonnées. C’était clair qu’il ne cherchait pas seulement à m’aider professionnellement, mais à obtenir quelque chose de plus personnel. » Comme pour beaucoup d’autres femmes journalistes, l’échange d’informations se transforme trop souvent en une transaction de nature sexuelle.
L’histoire de Claudine st loin d’être isolée. D’autres journalistes, sous couvert d’anonymat, ont raconté avoir vécu des situations similaires. Certaines sources d’informations exigent carrément des faveurs sexuelles pour fournir des informations sensibles, mettant ainsi en danger le travail des journalistes qui doivent jongler avec ces pressions tout en préservant leur intégrité professionnelle. Trésor Malu, un journaliste de la place explique que cette situation persiste malgré les efforts pour lutter contre le harcèlement. « Ce type de comportement est très courant à Bunia, mais rares sont ceux qui osent dénoncer ces actes. Les victimes se sentent isolées, et beaucoup de journalistes préfèrent garder le silence, par peur des représailles ou de la stigmatisation. »
Mais les femmes journalistes de Bunia ne sont pas seulement confrontées au harcèlement de la part des sources. Elles sont également victimes de stéréotypes et de jugements de la part de la société. Une journaliste témoigne : « Beaucoup pensent que, parce que je suis souvent en contact avec des autorités politiques ou policières, j’entretiens des relations amoureuses avec elles. C’est frustrant, car ce sont des contacts professionnels, nécessaires pour mon travail. » Ce genre de perception sexiste crée un environnement hostile où les femmes journalistes sont constamment pointées du doigt et jugées, ce qui complique encore leur exercice du métier.
Un autre témoignage d’une collègue, Jessica (prénom d’emprunt), montre à quel point la situation peut être déroutante. « Un jour, une source, après m’avoir reçue et donné les informations, m’a demandé si j’étais mariée. Lorsque j’ai répondu que non, il m’a proposé de sortir avec lui et qu’il m’accorderait des interviews excusives. C’était choquant, et j’ai dû refuser fermement. » Ce genre d’incidents est malheureusement récurrent dans la ville de Bunia et au-delà, selon plusieurs journalistes. Ces propositions inappropriées et ces tentatives de manipulation ont des conséquences dévastatrices, non seulement sur le bien-être des journalistes, mais aussi sur l’intégrité de l’information qu’elles produisent.
Selon une enquête de Reporters Sans Frontières (RSF) menée en 2021, la RDC figure parmi les pays les plus dangereux pour les femmes journalistes, en raison des violences sexistes et sexuelles auxquelles elles sont confrontées, tant sur le terrain que dans les rédactions. Cette enquête met en lumière les conséquences de telles violences sur la liberté de la presse, le pluralisme de l’information et la santé mentale des professionnelles du journalisme.
La situation à Bunia est un reflet de la réalité plus large des femmes journalistes en RDC, qui doivent non seulement faire face à des menaces extérieures, mais aussi lutter contre un environnement culturel qui ne les soutient pas. Claudine, comme d’autres, n’a pas osé porter plainte. « Je savais que si je dénonçais, je serais probablement stigmatisée et mes sources seraient perdues. Cela aurait compromis mon travail. » Cette culture du silence entretient aussi le cycle du harcèlement et de l’impunité.
Les femmes journalistes à Bunia, comme dans beaucoup d’autres villes en RDC, se battent pour leur droit à une couverture médiatique libre et équitable, mais aussi pour être respectées en tant que professionnelles. Mais au cours du même sondage, il a été remarqué que seulement une femme sur 10 est prête à dénoncer ces abus.
La lecture de cette statistique révèle une situation critique, où plus des deux tiers des femmes journalistes sont soumises à des pressions sexuelles pour obtenir des informations ou pour avancer dans leur carrière mais ne peuvent pas le dénoncer. Ce harcèlement systématique entrave non seulement leur liberté d’expression, mais affecte également leur bien-être psychologique en milieu professionnel. Il expose également les failles de la part des responsables médiatique ont difficile à protéger ses professionnelles.
Pour le Collectif des Femmes Journalistes (CFJ-RDC), cette réalité est perçue comme un problème structurel. Alicia Kapisa, la coordonnatrice du CFJ, souligne : « Cette situation n’est pas un phénomène isolé, mais bien une réalité qui touche une grande majorité des femmes journalistes dans notre pays. Les statistiques sont édifiantes et montrent qu’il y a une véritable crise qui touche nos consœurs. » Elle ajoute : « Nous devons travailler sur la sensibilisation et la mise en place de mécanismes de protection pour les journalistes, mais aussi sur la responsabilisation des institutions qui laissent perdurer ce fléau. Il est impératif que les victimes aient la possibilité de dénoncer ces actes sans crainte de représailles. »
Le CFJ appelle à une révision des pratiques dans les médias, une meilleure formation des journalistes pour gérer ces situations et des sanctions à l’encontre des auteurs de harcèlement. Il est possible de créer un environnement où les femmes journalistes peuvent exercer leur métier en toute sécurité, sans avoir à sacrifier leur intégrité pour obtenir des informations ou simplement pour faire leur travail.