RDC-Butembo : des marchés publics à l’épreuve écologique, entre urgence sanitaire et défaillance institutionnelle

Dans l’est de la République démocratique du Congo, les marchés populaires de la ville de Butembo jouent un rôle central dans l’économie locale. Mais derrière leur effervescence quotidienne, ces lieux vitaux se transforment de plus à plus en véritables bombes écologiques. Envahis par les déchets et immondices, abandonnés par les services publics, ils exposent vendeurs et clients à de graves risques sanitaires, révélant l’ampleur d’une défaillance institutionnelle persistante.

Cette enquête menée dans six principaux marchés publics de la ville de Butembo, en province du Nord-Kivu à l’Est de la République Démocratique du Congo, dresse un constat alarmant : l’insalubrité y est devenue structurelle, banalisée, tolérée. Pourtant, elle constitue une bombe à retardement sanitaire et écologique.

Les marchés concernés par cette ronde sont répartis dans les quatre coins de la ville témoignant de l’ampleur du problème. En plein centre-ville se trouvent le Marché Central, principal hub commercial de Butembo, et celui de Makasi, très fréquenté pour la vente de vivres frais. Au Nord, le marché de Biasa attire quotidiennement des milieux de commerçants et d’acheteurs, tout comme le marché de Vichai, situé dans la partie sud, une des zones dansement peuplée de la ville. À l’Est, le marché de Kiwede approvisionne plusieurs quartiers périphériques, tandis qu’à l’ouest, le marché de Rughenda joue un rôle clé pour les échanges avec les communes environnantes. Tous ces marchés sont confrontés aux mêmes problèmes : manque de poubelles publiques, absence de ramassage des déchets, et infrastructures d’hygiène presque inexistantes.

Des marchés transformés en décharges

Lorsque nous arrivons sur l’avenue du Marché, où se situe le Marché Central de Butembo, tout semble normal au premier regard. Les vendeuses interpellent les passants, les vendeurs ambulants chantent pour attirer la clientèle, et les allées sont animées par le va-et-vient constant des acheteurs. L’ambiance est celle d’un marché populaire typique. Pourtant, derrière cette activité intense, un problème plus grave se fait voir : les déchets s’accumulent partout, entre les étalages, au bord des allées, et jusqu’au croisement de l’avenue de l’Eglise et la rue Denis Paluku (ex rue d’ambiance). Les immondices sont omniprésentes, souvent ignorée dans l’agitation générale.

Des immondices sur le croisement de l’avenue du Marché et de la rue d’ambiance, en attente d’être évacué depuis 3 jours.

Sur ce lieu, plusieurs marchands, conducteur de taxi, vendeuse disent avoir assez de répondre aux questions des journalistes. D’après eux, plusieurs reportages ont déjà été réalisés ici mais rien n’a changé.

Au marché de Makasi, la situation est encore pire. Les produits vivriers sont posés à même le sol. Mais ce sol n’est qu’un tapis de détritus et de boue. La pluie a détrempé les ordures non ramassées, mêlant restes alimentaires, eaux stagnantes et sachets plastiques contenant parfois des matières fécales, d’après des témoignages. « Il n’y a pas de stands ici. Ceux qui ont pu en construire quelques-uns l’ont fait sur leurs propres moyens. Le reste, c’est chacun pour soi, pourvue que les produits soit écoulé », confie Isabelle, une vendeuse de légumes.

« Les agents de l’Etat passe pourtant ici depuis des années pour recouvrer des taxes en disant que cet argent va servir pour aménager le marché mais rien a été fait… » se désole la quarantaine, vendeuse de poireaux au bord d’un ravin nauséabond.

Au marché de Makasi, les produits vivriers sont posés à même le sol au bord d’un ravin nauséabond ou la boue est mêlée avec des restes alimentaires,

Le pire survient lorsqu’il pleut. Les eaux de ruissellement emportent les ordures vers les artères principales de la ville, obstruent les caniveaux et provoquent inondations et flaques d’eaux usées qui deviennent de véritables nids à bactéries. Ces marrées nauséabondes est devenu une routine dans cette partie de la ville.

Même constat au marché de Rughenda. Là-bas, les bennes à ordures débordent depuis des semaines. Aucune collecte municipale n’a été faite depuis une semaine. Les commerçants, impuissants, regardent les déchets se mêler à leurs produits. « On vend au milieu des poubelles. Les clients s’habituent et achetent toujours,  mais l’emplacement du produit affectent le prix des produits», Interroge un vendeur de chaussures.

Des immondices en plein marché de Rughenda, en attente d’évacuation dépuis plus d’une semaine.

Le constat est presque identique dans les marchés de Vichai, Kiwede et Biasa : les ordures s’amoncellent, les odeurs nauséabondes persistent, et les conditions d’hygiène sont préoccupantes. Les responsables de ces marchés ne nient pas la gravité de la situation. Ils reconnaissent que la prolifération des immondices met sérieusement en danger la santé des usagers. Certains regrettent que les initiatives déjà mises en place, comme l’installation de bennes à ordures ou l’organisation de journées de salubrité (localement appelé Salongo), restent insuffisantes pour contenir le problème, faute de moyens logistiques et humains.

Ils estiment qu’un appui plus structuré de la part des autorités locales est indispensable pour améliorer durablement l’assainissement. D’autres, notamment au Marché Central, pointent du doigt la responsabilité des commerçants, accusés de ne pas s’acquitter régulièrement des taxes et redevances censées financer la gestion des déchets. « Comment peut-on assurer un nettoyage efficace si les assujettis ne s’acquittent pas des taxes », s’interroge un gestionnaire du marché.

Une crise sanitaire silencieuse

L’inaction autour de cette situation n’est pas sans conséquence. Dr Kalima Nzanzu, médecin à l’hôpital de Matanda, tire la sonnette d’alarme. Selon lui, « Cette insalubrité chronique dans les marchés est une bombe sanitaire en retardement. Elle peut provoquer des maladies telles que la diarrhée, les infections intestinales, les affections respiratoires et même des maladies parasitaires, dues aux mouches qui se posent sur les aliments.»

Il poursuit que « Le danger ne vient pas seulement de ce qu’on mange, mais aussi de l’air qu’on respire. Les gaz issus de la décomposition des déchets polluent l’environnement immédiat. L’air saturé de particules toxiques atteint directement les systèmes respiratoires. »

Dans ces marchés, les mouches papillonnent entre les vivres et les ordures, transmettant germes et microbes. Pourtant, aucune mesure sanitaire structurelle n’est mise en place. Les points d’eau potable sont inexistants aux entrées de tous les marchés visités. Les latrines publiques, n’en parlons pas : saturés, insalubres, absentes ou inutilisables.

Face à cette situation, les vendeurs, premiers exposés, oscillent entre résignation et appel à l’aide. Certains plaident pour la délocalisation des marchés les plus problématiques. D’autres, plus pragmatiques, demandent des réaménagements urgents : stands en matériaux durables, espaces de tri, latrines publiques, bornes-fontaines.

« On ne demande pas l’impossible. Juste un cadre décent pour vendre. Ces marchés sont vitaux pour l’économie de la ville. Les autorité ne peuvent pas les abandonner comme ça alors qu’ils perçoivent des taxes ici chaque jours», déclare Sifa, commerçante au marché Biasa

Mme Safi, vendeuse des babouches au marché Bwanandeke (Biasa) installe ses articles au dessus des détritus emportés par la pluie, faute de stands.

L’administrateur du marché Rwanda, lui, évoque un manque criant de coordination avec la mairie : « Il faut instaurer un système de ramassage hebdomadaire ou journalière. Et chaque marché devrait avoir une zone dédiée à la collecte des ordures. Aujourd’hui, ce sont les commerçants qui improvisent. »

Une urgence environnementale négligée

Au-delà des marchés, c’est toute la politique urbaine d’hygiène et assainissement qui est remise en question. À Butembo, ville en pleine expansion, aucun plan structurant de gestion des déchets n’est mis en œuvre. Les quelques initiatives communautaires, comme le nettoyage hebdomadaire de chaque vendredi, restent marginales et inefficaces.

« On ne peut pas construire une ville sur des ordures. L’environnement urbain, c’est d’abord la santé publique, la sécurité alimentaire et la dignité des citoyens », affirme Vutsapu Michael, un activiste local de la protection de l’environnement.

Dans une ville où l’économie informelle constitue la colonne vertébrale de la vie urbaine, ignorer la salubrité des marchés revient à jouer avec la santé de milliers de personnes.

Les services urbains d’hygiène et d’environnement, en principe chargés de coordonner l’assainissement de la ville, reconnaissent leur incapacité à agir efficacement, faute de moyens matériels et financiers suffisants car plusieurs facteurs freinent leur action sur le terrain. « On travaille presque à l’aveugle. Nous n’avons ni budget propre, ni équipements adaptés pour couvrir tous les marchés. Même les gants et les bottes manquent parfois pour les ouvriers. Comment voulez-vous qu’on assure un service efficace dans ces conditions ? », confie un agent du service d’hygiène sous couvert d’anonymat.

Il ajoute que sans soutien financier renforcé et un meilleur suivi des engagements contractuels, « les déchets continueront à s’accumuler, et les risques sanitaires ne feront qu’augmenter. »

De l’autre côté, la mairie de Butembo, souvent pointée du doigt pour son inaction, rejette une partie de la responsabilité sur les entreprises privées chargées de l’évacuation des déchets.

Selon les autorités municipales, les contrats signés avec ces prestataires posent souvent problème depuis plusieurs années. « Des clauses essentielles, comme la fréquence de ramassage ou la couverture géographique, ne sont pas souvent respectées, en grande partie à cause du faible niveau des subventions accordées à ces entreprises… ».

Face à la dégradation croissante des marchés, la mairie de Butembo assure qu’un dialogue est en cours avec les parties concernées pour réviser les contrats existants avec les entreprises privées d’assainissement et identifier des solutions durables.

« Il y a une volonté politique de réagir, mais nous avons besoin d’un accompagnement technique et financier pour structurer une réponse efficace », affirme un responsable municipal.

De son côté, le Collectif des Femmes Journalistes (CFJ) œuvrant dans la promotion de la protection de l’environnement appelle à une mobilisation immédiate à plusieurs niveaux « aux autorités locales, de mettre en place un plan intégré de gestion des déchets en collaboration avec des partenaires spécialisés; aux bailleurs internationaux, de soutenir les projets d’assainissement dans les villes secondaires comme Butembo, souvent oubliées des politiques publiques nationales ; et à la population, de renforcer les actions citoyennes de nettoyage et de sensibilisation, en particulier dans les écoles, les églises et autres lieux communautaires. » explique Gentille Muliwavyo

L’on retient que dans les principaux marchés populaires de Butembo, ce n’est pas seulement l’argent qui circule, mais la maladie aussi.

Jérémie Kyaswekera

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